L’impact de l’industrie minière sur l’environnement est bien connu : contamination, érosion des sols et des eaux souterraines, perte de biodiversité. On a tous une idée des répercussions des processus d’extraction. Mais les temps ont bien changé : l’exploitation minière n’est plus une activité à craindre, mais une entreprise dans laquelle on met beaucoup d’espoir. Je veux dire que l’aspect environnemental a été relégué à l’arrière-plan.

 

Ce projet de mine Sisson, au Nouveau-Brunswick, où se trouve l’un des plus grands gisements de tungstène au monde, m’a particulièrement interpellé. Évidemment pour la légèreté avec laquelle on anticipe sa venue dans le paysage. Mais ce qui m’a accroché, c’est le mot « tungstène ». En 1989, j’ai publié chez Michel Henry éditeur un livre intitulé Les bibelots de tungstène. À l’époque, ce qui m’intéressait chez cet élément, qui est aussi un métal, c’était de le voir juste à côté du mot « bibelots ». Comme le tungstène est extrêmement dur et que les bibelots sont frivoles et fragiles, j’imaginais des bibelots en tungstène presque indestructibles, ou, à l’inverse, du tungstène doté d’une grande fragilité. Cette ambivalence entre le solide et le fragile traverse le livre.

 

Michel Henry éditeur a été fondé en 1985 et a fermé ses portes en 1990. Mon recueil devait être l’un des derniers. En septembre 1989, j’étais parti pour le Banff Centre et, au printemps suivant, j’étais revenu à Moncton pour la soirée « la nuit de Ventôse ». Michel, qui était à la soirée, m’a dit qu’il venait de fermer ses portes et qu’il avait des boîtes de livres à me donner. En fait, au total il y avait 500 livres ! Michel m’avait dit qu’il avait fait imprimer 1000 livres par erreur.* Comme je ne savais pas trop quoi faire avec tous ces recueils, j’ai proposé une performance à la Galerie Sans Nom et à Struts Gallery de Sackville. Les événements intitulés « Massacre à la poéscie mécanique » en français et « Chainsaw Massacre of Poetry » en anglais ont eu lieu en avril 1990. Vous l’avez deviné : j’ai découpé mes livres à la scie mécanique. Pendant que je coupais mes livres à Moncton, l’orchestre de mon frère Benoît, avec Jean Thibodeau et d’autres, jouait de la musique endiablée. À Sackville, il n’y avait que ma scie mécanique et mes livres. Deux choses étonnantes : que Struts Gallery et la GSN aient accepté cette proposition sur le pouce, ce qui n’arriverait plus aujourd’hui. Il y a tellement de propositions, tellement de mécanismes de sélection que ce serait impensable. L’autre chose, c’était l’utilisation d’une scie mécanique dans un espace public. Je pense que cela poserait problème aujourd’hui.

 

Le troisième acte de ces bibelots de tungstène a commencé lorsque j’ai reçu, en octobre dernier, un courriel d’Émilie Turmel, des Éditions Perce-Neige. Après avoir fait le ménage dans leur entrepôt, elle me disait avoir trouvé une boîte de mes Bibelots (je n’avais pas dû en vendre beaucoup !) et me demandait si je voulais venir les chercher. La boîte est maintenant chez nous. Elle est énorme. Je pense qu’il doit y avoir au moins 200 livres. Et me voilà, aujourd’hui, à penser à refaire ces performances, des re-ennactments, cette fois à la scie manuelle. Cette réapparition m’a aussi donné l’occasion de réfléchir à la persistance du livre, un objet qui n’est pas tributaire d’un appareil technologique en constante évolution.

 

Entre-temps, des exemplaires sont disponibles sur le site des Éditions Basic Bruegel.

 

 

* J’en parle dans le préambule des performances présentées à Sackville et à Moncton.

 

 

 

Les bibelots de tungstène (1989)

Quels sont les 21 minéraux critiques au Nouveau-Brunswick
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2167679/liste-mineraux-critiques-nb

Critique de Rachel Godin du recueil Les Bibelots de tungstène. Paru au printemps 1990 dans la revue des étudiants et des étudiantes en études françaises de l’Université de Moncton, Nouveau-Brunswick, Canada.